La santé mentale est devenue l’un des grands défis de notre époque. Longtemps reléguée au second plan par rapport à la santé physique, elle occupe désormais une place croissante dans les politiques publiques, les débats médiatiques et les préoccupations individuelles. L’Organisation mondiale de la santé rappelle que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social » et non la simple absence de maladie. Pourtant, force est de constater que la dimension psychique a été négligée pendant des décennies en France.
Depuis quelques années, un tournant s’opère. La pandémie de Covid-19 a agi comme un révélateur brutal : isolement, anxiété, troubles dépressifs et burn-out se sont multipliés, touchant toutes les générations, mais particulièrement les jeunes. Les services hospitaliers psychiatriques ont été saturés, les consultations ont explosé et de nombreux citoyens se sont retrouvés sans solution immédiate. Cette crise a mis en lumière l’urgence de renforcer notre système de prise en charge et de changer le regard porté sur la santé mentale.
Trois dynamiques récentes en témoignent : la formation de secouristes en santé mentale, qui démocratise les premiers gestes d’aide psychologique ; le renforcement du rôle des infirmiers en pratique avancée, pour améliorer l’accès aux soins ; et enfin, la volonté politique de réduire les inégalités territoriales et sociales en matière de santé psychique. Ces évolutions s’inscrivent dans une réflexion plus large sur la place de la prévention, de l’éducation et de la déstigmatisation dans la société française.
une crise silencieuse devenue visible

Pendant longtemps, les troubles psychiques ont été perçus comme des pathologies marginales, touchant une minorité. Or, les chiffres montrent qu’ils concernent une part importante de la population. Selon Santé publique France, près d’un Français sur cinq sera confronté, au cours de sa vie, à un trouble psychique significatif. La dépression est devenue l’une des premières causes de morbidité dans le monde, et les troubles anxieux touchent des millions de personnes au quotidien.
En France, la crise sanitaire a amplifié cette tendance. Les confinements ont provoqué une hausse de 30 % des états dépressifs en population générale, avec une prévalence particulièrement élevée chez les jeunes adultes et les étudiants. Ces derniers, privés de vie sociale et confrontés à des difficultés financières, ont vu leur santé psychologique se dégrader de manière alarmante. Le suicide reste la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, rappelant la gravité de la situation.
Mais cette crise ne concerne pas seulement les jeunes. Les salariés ont connu une augmentation massive des burn-out et des troubles liés au surmenage. Les soignants, en première ligne face à la pandémie, ont souffert d’épuisement professionnel et de stress post-traumatique. Les personnes âgées, quant à elles, ont subi l’isolement et la perte de repères, souvent au prix d’un repli psychologique profond.
Un système de soins sous tension
Face à cette explosion des besoins, le système de santé français peine à répondre. Les centres médico-psychologiques (CMP), structures publiques de référence, affichent des délais d’attente pouvant atteindre six mois, voire un an dans certaines régions. Les psychiatres libéraux, en nombre insuffisant, ne peuvent absorber la demande, et leurs tarifs sont souvent dissuasifs pour les foyers modestes.
Les inégalités territoriales aggravent encore le problème. Certaines zones rurales ou quartiers populaires sont de véritables déserts médicaux en matière de santé mentale. Dans ces contextes, obtenir une consultation relève du parcours du combattant. La téléconsultation a apporté un début de réponse, mais elle ne remplace pas toujours la présence physique, notamment pour les situations les plus graves.
Par ailleurs, la France souffre d’un manque chronique de coordination entre les différents acteurs : psychiatres, psychologues, infirmiers, médecins généralistes, travailleurs sociaux, associations. Cette fragmentation entraîne des ruptures de parcours, où les patients passent d’un service à l’autre sans suivi cohérent.

Le secourisme en santé mentale : une innovation citoyenne

C’est dans ce contexte qu’a émergé le secourisme en santé mentale. Inspirée du modèle australien « Mental Health First Aid », cette approche vise à donner aux citoyens des outils concrets pour aider une personne en détresse psychologique, sur le modèle des gestes de premiers secours pour la santé physique.
La formation, accessible à tous, se déroule sur deux jours. Elle apprend à reconnaître les signes de souffrance (isolement, anxiété, propos suicidaires), à écouter sans jugement, à dialoguer de manière sécurisante et à orienter la personne vers les ressources adaptées. Elle n’a pas vocation à remplacer les professionnels, mais à agir comme un relais précieux dans l’attente d’une prise en charge.
Le témoignage de secouristes formés est particulièrement parlant. Anne Gastinel, par exemple, raconte avoir pu intervenir auprès d’un collègue en crise suicidaire. Grâce à sa formation, elle a su maintenir le dialogue, sécuriser la personne et alerter les services compétents. Sans ces compétences, elle aurait sans doute été démunie face à la situation.
Avec plus de 165 000 secouristes formés en France fin 2024, un maillage inédit est en train de se construire. Chaque secouriste devient un point d’appui dans sa famille, son lieu de travail ou sa communauté. Ce réseau contribue à rompre l’isolement et à banaliser la parole autour de la santé mentale. Il constitue aussi une réponse pragmatique à la saturation du système de soins : en intervenant tôt, il évite que certaines situations n’évoluent vers des crises nécessitant une hospitalisation.
Les infirmiers en pratique avancée : un rôle clé
Au-delà de l’engagement citoyen, la santé mentale nécessite des professionnels mieux répartis et mieux formés. C’est dans cette logique que se développe la pratique avancée infirmière en psychiatrie et santé mentale.
Ces infirmiers en pratique avancée (IPA PSM) disposent d’une formation spécifique de niveau master qui leur confère de nouvelles compétences : mener des consultations de suivi, ajuster certains traitements, assurer un rôle de coordination entre le médecin généraliste et le psychiatre. Ils deviennent ainsi des pivots du parcours de soins, capables de désengorger les spécialistes et de proposer une prise en charge de proximité.
Le Sénat, dans un rapport récent, souligne l’importance de renforcer ce corps professionnel. Aujourd’hui, seuls 550 IPA PSM exercent en France, un chiffre largement insuffisant pour couvrir le territoire. Leur développement est freiné par des obstacles financiers et réglementaires : rémunération peu attractive, difficultés à s’installer en libéral, reconnaissance encore limitée par certains médecins.
Pourtant, leur plus-value est indéniable. Dans les maisons de santé pluridisciplinaires, ils peuvent assurer un suivi régulier des patients souffrant de troubles chroniques, évitant ainsi les rechutes et les hospitalisations. Dans les zones sous-dotées, ils représentent parfois le seul accès rapide à un professionnel compétent en santé mentale. Leur rôle de proximité et leur capacité d’écoute font d’eux des acteurs précieux pour humaniser le parcours de soins.

Le premier recours : un maillon fragile

L’un des principaux défis est de renforcer le premier recours, c’est-à-dire les premières portes d’entrée pour les personnes en souffrance psychique. Trop souvent, faute d’alternative, les services d’urgence hospitalière deviennent le seul recours, alors qu’ils ne sont pas adaptés à des prises en charge de longue durée.
Il est nécessaire de multiplier les points d’accueil accessibles, gratuits et sans rendez-vous. Les centres médico-psychologiques doivent voir leurs moyens renforcés pour proposer des permanences plus réactives. Les maisons de santé et les pharmacies pourraient jouer un rôle accru de repérage et d’orientation. Enfin, les équipes mobiles de psychiatrie, capables d’intervenir au domicile ou en milieu scolaire, offrent une solution souple et efficace pour aller vers les personnes les plus isolées.
Une question d’égalité et de justice sociale
La santé mentale est un miroir des inégalités sociales. Les populations précaires, les habitants de zones rurales ou les jeunes issus de milieux défavorisés sont plus exposés aux troubles psychiques et disposent de moins de ressources pour y faire face.
La réduction de ces inégalités suppose des politiques volontaristes : incitations financières pour attirer les professionnels dans les zones sous-dotées, développement de la télépsychiatrie, mais aussi renforcement des dispositifs sociaux et éducatifs. La santé mentale ne peut être pensée isolément du logement, de l’emploi, de l’éducation. Un jeune en situation de précarité étudiante ou un salarié soumis à une forte pression professionnelle auront plus de risques de développer des troubles psychiques.
Ainsi, améliorer la santé mentale revient aussi à agir sur les déterminants sociaux de la santé : lutter contre l’isolement, sécuriser les parcours de vie, renforcer les liens sociaux.

Prévenir, sensibiliser et éduquer

La prévention est sans doute le chantier le plus structurant pour l’avenir. Former massivement les enseignants, les encadrants associatifs, les responsables d’entreprise à repérer les signaux d’alerte peut transformer la société en un réseau de vigilance bienveillante.
Dès l’école, l’éducation émotionnelle devrait occuper une place centrale. Apprendre aux enfants à identifier et exprimer leurs émotions, à demander de l’aide, à développer des stratégies de résilience constitue un investissement majeur pour prévenir les troubles à l’âge adulte.
Dans le monde du travail, la prévention du burn-out et la promotion du bien-être psychologique doivent devenir des priorités. Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer en instaurant des environnements favorables, en luttant contre le stress chronique et en favorisant l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle.
Comparaisons internationales : des pistes d’inspiration
La France peut aussi s’inspirer d’expériences étrangères. L’Australie, pionnière du secourisme en santé mentale, a massivement formé sa population, avec des résultats probants en matière de déstigmatisation et d’accès précoce aux soins. Le Canada, de son côté, a développé des programmes communautaires très ancrés localement, intégrant les associations, les écoles et les services sociaux.
Les pays nordiques, quant à eux, mettent l’accent sur la prévention dès le plus jeune âge, avec des cours sur la gestion des émotions et des dispositifs d’accompagnement psychologique dans chaque établissement scolaire. Ces modèles montrent qu’une politique volontariste peut transformer le rapport d’une société entière à la santé mentale.

Les coûts économiques de l’inaction

Au-delà de l’enjeu humain, la santé mentale représente aussi un défi économique. Selon l’OCDE, les troubles psychiques coûtent à la France près de 4 % de son PIB, principalement en raison des arrêts de travail, du chômage et de la perte de productivité. Le coût indirect dépasse largement les dépenses de soins.
Investir dans la prévention, la formation et l’accessibilité des soins n’est donc pas une charge, mais un investissement rentable à long terme. Chaque euro investi dans la prévention de la dépression et de l’anxiété permet d’économiser plusieurs euros en dépenses sociales et médicales.
Conclusion : un chantier collectif
La santé mentale s’impose aujourd’hui comme un enjeu majeur de santé publique, mais aussi de cohésion sociale et de justice. Elle ne peut être laissée aux seuls spécialistes : elle doit mobiliser la société entière. Les secouristes en santé mentale en sont un exemple concret, tout comme le développement des infirmiers en pratique avancée.
L’avenir dépendra de notre capacité à combiner prévention, proximité et lutte contre les inégalités. Former, sensibiliser, investir dans les ressources humaines, repenser le premier recours, briser les tabous : autant de leviers qui, mis en cohérence, peuvent transformer la santé mentale en un droit effectif pour tous.
Il ne s’agit plus seulement de soigner des pathologies, mais de construire une société qui prend soin de ses membres dans toutes leurs dimensions. Car la santé mentale est l’affaire de chacun, et elle conditionne notre bien-être collectif, notre capacité à travailler, à créer du lien, à vivre ensemble. C’est sans doute là l’un des plus grands défis du XXIᵉ siècle.
Article partiellement rédigé avec l’aide de l’intelligence artificielle
Fiche IA : Santé mentale – un enjeu majeur de santé publique en France
- Titre : Santé mentale : un enjeu majeur de santé publique en France
- Source : Santé Formation (Campus Santé de la Porte de Paris)
- Date : 2025 (publication)
- Thématiques principales :
- Augmentation des troubles psychiques après la pandémie de COVID-19 (anxiété, dépression, burn-out)
- Inégalités territoriales et sociales dans l’accès aux soins psychiques
- Problèmes de délai d’attente, surcharge des services, manque de coordination entre professionnels
- Initiatives récentes : secourisme en santé mentale, infirmiers en pratique avancée en psychiatrie, prévention et sensibilisation
- Public concerné : Tous – individus de tous âges, étudiants, soignants, soignés, citoyens engagés dans la santé mentale
- Actions ou solutions évoquées :
- Formation de secouristes en santé mentale – reconnaître les signaux, écouter, orienter
- Renforcement du premier recours : maisons de santé, pharmacies, CMP, télépsychiatrie
- Développement du rôle des IPA-PSM (infirmiers en pratique avancée en psychiatrie santé mentale)
- Prévention, éducation émotionnelle, soutien communautaire, politique de lutte contre les inégalités sociales et territoriales
- Constats / enjeux urgents :
- Saturation des services psychiatriques, délais d’attente très longs
- Manque de professionnels et répartition inégale
- Impact économique notable : coûts directs et indirects liés aux troubles psychiques
- Fragilité des premiers recours, besoin d’accessibilité et gratuité ou tarifs accessibles
- Vision proposée : Une approche collective mobilisant prévention, formation, proximité des soins, réduction des stigmates, justice sociale et coordination entre tous les acteurs
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